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LA BELLE VALENCE

par THÉO VARLET & ANDRÉ BLANDIN, Librairie Edgar Malfère, 1923, AMIENS

Résumé : Pour expliquer l’essor brisé de l’anticipation en France, on invoque souvent la guerre de 14-18 qui aurait décimé une génération entière d’écrivains et d’éditeurs, et même quelques lecteurs. J’ignore s’ils connurent le feu et la mitraille ? Pourtant, les auteurs de ce roman n’écrivent pas comme des planqués de l’arrière, sabre de fer ! Ils fournissent d’abord à leurs héros (le lieutenant Renard, le sous-lieutenant Monocard, le sergent Dupuy et l’aviateur anglais) une cave bien remplie à siffloter gentiment pendant que les obus pleuvent à heures fixes aux environs de Metz . Ils leur font ensuite découvrir dans cette même maison abandonnée sur le front de Port-sur-Seille : LA machine à voyager dans le temps, laissée là par son créateur anglais. Car, Wells n’avait relaté que la simple vérité. La machine existait bel et bien.

Après un bref voyage temporel dans le Paris d’avant-guerre effectué par les seuls Renard et Dupuy, c’est par la grâce d’un cadran dérèglé que toute la compagnie de poilus est projetée non loin de la Valence espagnole du 14e siècle, arrimée sur une portion de vingtième siècle, dans la boue de la der des der. Une moisson d’oranges improbables sera le premier signe du décalage. Des cavaliers arabes arrêtés passent pour un renfort de goumiers marocains. L’Emir Abdul-Kahn et ses troupes assiègent la ville. On tire sur d’autres assaillants les croyant Boches, mais les prisonniers parlent espagnol et semblent ne pas savoir riposter aux armes immondes des tranchées.

Pendant ce temps, le franciscain Fray Géronimo se lamente dans sa cellule. Il se sent proche de ces arabes qui ont préservé le flambeau de la civilisation après la chute de l’Empire Romain. Il a été condamné au bûcher par son ennemi juré, Fray Luiz Alcover de Tortorado, le chef local de l’Inquisition. Celui-ci a également manoeuvré pour écarter Melchissédec, le grand rabin de Valence, en l’accusant de meurtre rituel afin de contraindre sa fille Myriam à devenir sa maîtresse. Vous voyez le genre de personnage immonde que ça peut être ! Mais avec l’arrivée des poilus, toute la situation se trouve bouleversée. La prise de Valence n’est qu’un jeu pour la dizaine d’hommes envoyés en avant garde. Géronimo est délivré et ramené au camp de ceux qu’il prend d’abord pour un peuple de Francs.

Les rumeurs vont bon train chez les pioupious. On parle d’un mystérieux engin à torpille qui les auraient projeté chez les Boches. Car leurs chefs leur ont d’abord fait croire qu’un tremblement de terre était responsable du changement de climat. Bien sûr, cela n’explique ni les chameaux ni les autres incongruités qui s’offrent à leurs yeux. Alors,il paraît nécessaire de leur bourrer le crâne. Le major leur explique qu’ils ont été emmenés sur une autre planète, un peu retardée par rapport à la notre. Les gradés ont eux très bien compris qu’ils avaient été propulsés du front de Lorraine au front Maure du XIV ème siècle. Ils décident de s’allier avec l’Emir. Le père Géronimo leur servira d’interprète. Ils pensent devenir facilement les maîtres de ce monde.

Pendant ce temps, les poilus restés à Valence se sont offerts une gigantesque nouba. La plupart se font ensuite égorger dans leur sommeil. Mais rira bien qui rira le dernier. Grâce à la réserve de Pernod, l’Emir accepte l’alliance avec ces étranges Gaulois surgis de nulle part qui disposent d’un oiseau de fer et de bâtons à tonnerre. Enfin, tous investissent Valence et vengent leurs camarades lâchement assassinés. Mais l’infâme Tortorado a pu s’échapper. Les gradés décident de régenter Valence et se nomment ministres à tour de bras. Ils démontrent les prouesses de la médecine moderne à la population superstitieuse et commencent à enseigner certaines techniques aux élèves de Géronimo. Les femmes des notables espagnols commencent elles aussi à apprécier ce nouveau joug. Les festins et les fêtes s’enchaînent, toujours plus raffinés.

Mais l’Inquisition manœuvre dans l’ombre. Tortorado prépare sa revanche en appelant les autres villes à une nouvelle croisade contre ces démons de l’enfer. Le refoulement est proche. L’alcool distillé et les billets de banque nouvellement émis ont rongé les esprits et l’économie. Seul le père Géronimo est aux anges. Il a découvert simultanément Voltaire, Rousseau, Hugo et Karl Marx. Il fonde un journal clamant "Le cléricalisme, voilà l’ennemi". Les chefs francs lui ont fait la promesse de le nommer Antipape, mais la cérémonie est troublée par des beuglements bachiques enregistrés sur le phono durant la répétition. La bonne société de Valence se détourne alors de ses nouveaux maîtres. Un traître, Paincarat, a appris à Tortorado le maniement des armes dérobées aux poilus. Heureusement, les méchants périront dans l’explosion d’un obus fracassé à coup de marteau.

Enfin, une armée espagnole encercle Valence et toute la compagnie est obligée de se réfugier à Port sur Seille. La machine est une nouvelle fois actionnée, mais cette fois-ci vers l’avenir et les poilus rescapés se retrouvent dans la nuit pluvieuse de janvier 1917 sur le front de Lorraine. Ils décident de ne parler à personne de leur incroyable aventure. La hiérarchie croit que les pertes sont dues à un tremblement de terre. Seul un film expurgé de ses anachronismes (à l’exception d’un poilu apparaissant dans un coin de l’écran) et qu’ils font passer pour une reconstitution historique leur rappellera leurs aventures dans la Belle Valence du passé.

Note : Les auteurs ont su alterner dans ce roman des dialogues savoureux en argot des tranchées, des scènes de joyeuses libations et des discussions métaphysiques sur l’union possible des 3 religions du Livre. Peut-être ont-ils voulus également signifier que la guerre était une sorte de machine à voyager dans des temps barbares ? Mais, ils n’ont pas été jusqu’à supposer que l’excursion des poilus dans une époque révolue aurait due par contre-coup modifier totalement leur présent.

© Jean-Louis Brodu 2003

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