LE CANARI NE CHANTE PLUS
par Pierre Brochon, Editions Pierre HORAY, Paris, 1959.
Résumé : Les auteurs de contre-utopies ont souvent choisi de faire tenir un journal intime à leur héros. Ultime refuge d'une singularité inavouée, ces écrits au jour le jour permettent de suivre la désintégration mentale de l'individu ou bien son émancipation des chaînes de lautocensure collective.
Nous sommes en l'an 398 de l'ère du Fondateur à Antéornos, une ville entourée d'un désert radioactif résultant d'une ancienne guerre atomique. Le Fondateur, mort depuis des lustres, a donné à la Ville des lois qui réglementent la vie de chacun. Les souvenirs de la Barbarie ancienne ne subsistent que dans des archives soigneusement conservées. L'anarchie des rapports humains est désormais révolue. Les habitants d'Antéornos portent sur la figure un masque de matière plastique qui indique leur fonction et la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent. Selon l'occasion, ils le remplacent par celui de "l'honnête travailleur" ou du "bon père de famille". Normalement, aucun acte ne peut avoir lieu sans avoir été prévu par le Grand Conseil.
Pourtant, des événements imprévus surviennent dans cette société policière régit par des cerveaux électroniques. Les statues du Fondateur se mettent à exploser les unes après les autres. Au même moment, un homme quelconque dénommé Galliléus se découvre lui-même en rédigeant son journal. Il constate qu'il éprouve même un certain plaisir à écouter le chant de son canari (les seuls animaux de compagnie qui subsistent, peut-être du fait de leur utilisation comme détecteur de gaz en temps de guerre). Puis quelques temps plus tard, il fait une chose inimaginable. Il dévoile son visage à sa propre épouse, Germaine. Ils expérimentent ensuite tous deux des pratiques sexuelles inhabituelles (elle garde ses bas pendant l'amour !).
Lorsque par mégarde, Galliléus laisse échapper son canari par la fenêtre, un accès d'hystérie collective se déclenche dans la rue. Guansi, le policier qui le surveille discrètement est étonné de constater que des sentiments des temps passés perdurent chez Galliléus et qu'il est lui aussi touché par le même mal. Ne pouvant plus supporter ces multiples dérèglements, Galliléus subira volontairement une néolobotomie. Mais les explosions dont il s'estime inconsciemment responsable sont en fait des provocations décidées par certains membres du Grand Conseil. Devenu lui aussi réfractaire à l'ordre établi après avoir découvert le journal de Galliléus, Guansi ose s'enfuir de la cité avec Germaine. Alors qu'une explosion lointaine leur signale la destruction d'Antéornos livrée à la folie de groupes de convulsionnaires, ils découvriront que le désert a une fin et qu'ils peuvent se refaire une nouvelle vie.
Note : Voici encore un bouquin proprement génial écrit par un auteur spécialiste de la chanson et du livre de colportage dont se sera, semble-t-il, la seule incursion dans la science-fiction. La description du cheminement mental de Galliléus, l'observation de ses actes passéistes par Guansi, les scènes de découvertes érotiques, la fuite du canari et les crises des convulsionnaires réunis en une secte mystique sont autant de morceaux de bravoure qui jalonnent ce roman trop méconnu. Décidément, ces années 50 - quand Staline avait remplacé Satan - quelle époque bénie pour la contre-utopie !
© Jean-Louis Brodu 2003