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LE MAMMOUTH BLEU

par Luc ALBERNY, Bibliothèque du hérisson, Paris,1935.

 

Avertissement : ce livre a une attaque franche de 45 pages où l'on se passionne pour le mystère de la disparition d'un ermite ex-spéléologue dans quelque faille du pays Basque. En attendant que ça conjecture un peu plus net, le lecteur des années 90 peut supputer sur le titre et penser avoir droit à un Pellucidar franchouillard. Mais il passera dans une toute autre sphère en pénétrant dans le royaume assoupi du Mammouth Bleu.

Dans la deuxième partie, découverte grâce au journal secret de l'ermite, l'auteur vous assène la grosse surprise qu'il a concoctée pour résoudre deux mystères : la disparition des mammouths et l'origine de la langue basque. La suite est pleine de trouvailles dans le plus pur style albernien mêlant le drame romantique (une femme est la cause de tout) à un genre mi fantastique vernien (la descente dans le creux de la Terre) mi rétro-anticipation à la Conan Doyle (la survivance des mammouths et des centaures). En somme, une très bonne cuvée Alberny 1935.

Résumé : Dans les gorges de Galamus, sur le versant méridional des Hautes-Corbières, Francis Jarain, le géologue distingué et le narrateur, Michel Chesnay, avocat à Perpignan se sont offerts une petite grimpette dans la montagne. A leur grande surprise, l'ermitage de Saint-Antoine qu'ils croyaient vide d'occupant se révèle abriter l'énigmatique Frère Anselme. Pendant la visite de la chapelle, Jarain ne cesse de fouiller sa mémoire. Où donc a-t-il déjà vu ce visage ? Il reconnaît enfin dans cet homme aux traits typiques : André Vernon, le créateur de la spéléologie scientifique, l'explorateur des cavernes, qui avait disparu de Paris en pleine gloire voici près d'un an.

Redescendus dans la vallée, nos deux amis s'entretiennent avec le curé de Cubières. L'abbé Laugé leur apprend que l'ermite n'est là que depuis quelques jours, mais refuse de leur en dire plus. Il finit quand même par leur avouer qu'une triste destiné, un malheur épouvantable, surhumain peut-être, a foré cette âme blessée à choisir une retraite loin du monde. L'abbé se montre fort intéressé par les compétences de géologue de Jarain. La conversation passe sur la grotte de Fauzan où un gisement de phosphate est constitué des os pulvérisés d'une extraordinaire nécropole de mammouths similaire à ces "cimetières d'éléphants" d'Afrique que décrivent les explorateurs. L'abbé remarque que cela indique une ébauche de culte des morts de la part d'animaux que nous sommes habitués à considérer comme des êtres inférieurs. C'est à n'en pas douter Vernon qui a parlé en confession de cette curiosité souterraine. Puis, les deux amis retrouvent leurs occupations professionnelles et oublientl'ermite de Galamus et son secret.

Quelques mois plus tard, un fait divers relate la disparition mystérieuse de l'ermite dont on a retrouvé le logis vide dans le plus grand désordre. Un vagabond appréhendé admet avoir fouillé les papiers dans l'espoir de découvrir de l'argent, mais il déclare que l'ermitage était absolument désert. L'homme est cependant accusé de meurtre et incaréré. L'enquête est confiée au juge Etchepare, un jeune magistrat connu pour ses nombreux travaux sur la langue basque. Chesnay va le voir pour lui narrer ce qu'il sait de l'étrange ermite, mais le magistrat ne s'intéresse pas à l'affaire ; préférant discourir sur le mystère posé par l'origine du Basque, la seule langue agglutinante d'Europe. Etchepare retrouve un intérêt à l'affaire de l'ermite disparu lorsqu'il apprend que Vernon est issu d'une très ancienne famille euscarienne, les Irizarte.

Chesnay décide de défendre le vagabond que le magistrat a juré d'envoyer à la guillotine. Lors d'un interrogatoire, Rudeau, le vagabond, traite Etchepare de sale espagnol, l'injure suprême pour un Basque. Les journaux ont déjà jugé que Rudeau était coupable et l'on ne donne pas cher de sa peau. C'est alors que l'abbé vient visiter Chesnay pour lui remettre le cahier de frère Anselme qu'il a trouvé dans les papiers de l'ermite et qui permet d'innocenter le vagabond. Vernon est en effet vivant, mais il ignore l'affaire Rudeau. L'ermite est en effet descendu dans la grotte de Fauzan, LE CIMETIERE DES MAMMOUTHS MAUDITS. On lit alors avec maître Chesnay le récit de la vie de Vernon, puis l'on apprend tout de son incroyable aventure.

Le cahier de frère Anselme commence par : "Je l'ai toujours aimé..." Il s'agit de Geneviève, son amie d'enfance dont le fantôme le poursuit, mais quand il pense à elle, c'est l'autre qu'il voit... LE MONSTRE. Il ne peut se résoudre au suicide car il entend encore la dernière phrase d'un certain Ayné-Khan : "Si un jour, tu ressens trop fort ta peine, revient au Dhôme de Yalna. Alors, tout serait fini, et plus rien n'aurait jamais été." Puis, il fait le récit de sa vie au pays basque où il fut beré de légendes par son grand-père. Sa cousine, Geneviève était plus jeune de trois ans. Ils passèrent leur enfance ensemble. Elle alla s'installer chez eux lorsque sa mère à elle mourut. Lui, en grandissant découvre la spéléologie. Ses années d'étudiant furent chastes (toujours le béguin pour Geneviève). Seulement voilà, elle n'a pas d'amour pour lui.

Il passe l'agrèg. Puis, c'est la guerre. Gazé dans les tranchées, fait prisonnier, s'évadant, repris, envoyé au bloc. Pendant trois ans, presque rayé du monde des vivants, Vernon ne reçut aucune lettre, rien. Et il en pince toujours pour Geneviève ! Quand il rentre après l'armistice, sa mère est morte. Il trouve la solution : épouser Geneviève. Elle accepte par pitié. Mais avant de convoler, elle disparaît lors d'une excursion dans la grotte de Dargilan avec un peintre de passage. On suppose qu'ils ont fuit ensemble. Deux années plus tard, Vernon a beau s'être investi à fond dans le travail universitaire, il revient quand même au Pays Basque et entreprend de fouiller la grotte où Geneviève a disparu car il se refuse à croire qu'elle a fuit avec un autre. Il chute dans un trou et emporté par les flots d'une rivière souterraine, il perd connaissance.

Il se réveille dans une salle aux proportions grandioses, baignée par une lumière bleuâtre. Le rideau du fond se soulève et apparaît un animal énorme, haut de sept à huit mètres. Le corps laineux, la tête débordante et massive portant un long appendice en forme de trompe, que protègent deux énormes défenses. Le monstre le regarde de ses grands yeux calmes et bienveillants. Après un moment de panique, Vernon doit bien admettre que la bête est un "elephas primigenius" bien vivant, un mammouth ! L'animal le voyant quelque peu rassuré s'avance et soudain... lui parle dans le basque le plus pur pour lui annoncer qu'il n'a rien à craindre. Il est sous la protection du Mammouth Bleu, le Roi du Monde.

La surprise est aussi grande pour Vernon que pour le lecteur qui s'attendait à tout sauf à ce que ce soient des mammouths intelligents qui aient jadis quittés la surface pour s'installer dans ce monde souterrain. Le mammouth répond aux interrogations de Vernon. Il se trouve dans la grande Euscarie, non loin de la ville de Yalna. Son hôte poilu se prénomme Ayné-Khan. Ce logis est sa maison de campagne. Le Basque est la langue originelle des mammouths. Le royaume souterrain est une immense caverne correspondant à l'étendue de plusieurs états de la surface et perpétuellement éclairée par "l'argain", une lumière diffuse produite par les émanations radio-électriques des mines de Ghord.

Vernon est présenté à madame Ayné-Khan, la mammouthe qui tricote des tentures avec ses défenses. C'est leur fils, le tout jeune Eloh (à peine trois mètres de haut) qui l'a trouvé gisant au bord du lac souterrain. Le couple est très fier d'avoir obtenu l'autorisation du Roi du monde de procréer Eloh ; ce qui tranche avec les moeurs dissolues de la surface que leur a décrite Angela, une autre humaine tombée dans le monde souterrain et qui se révèle n'être autre que Geneviève. Vernon est fou de bonheur, ainsi sa Geneviève est vivante, mais elle reste distante en lui promettant de le revoir bien vite.

Le lendemain, Vernon se fait conduire par Eloh à Pokmé, l'ancienne capitale en ruine où vit désormais Geneviève. Seulement voilà, il y a Ibrida, le roi Centaure survivant d'une race qui régnait autrefois sur le monde souterrain avant l'arrivée des mammouths. Geneviève lui explique les circonstances de son arrivée et lui déclare qu'Ibrida l'aime. En voilà encore un qu'elle a asservi comme moi se dit Vernon. Revenu chez les Ayné-Khan, Il apprend que les mammouths se sont jadis pliés à la loi de l'Ohim, un sérum complexe qui protège de toutes les maladies, du vieillissement mais aussi des passions. Grâce à lui, les sujets du Mammouth Bleu sont devenus presque immortels et de plus en plus sages. Les centaures ont refusés l'Ohim au nom de l'amour et leur civilisation n'est plus que ruines.

Au Dhôme de Yalna, la capitale-centre de formation permanente pour mammouths, Vernon est présenté à Khan-Aren-Khan, le Mammouth Bleu qui a déjà vécu plusieurs millénaires. Il avait pris l'initiative de quitter la surface avec son peuple pour échapper aux divers cataclysmes qui les menaçaient. Les voies d'accès avec le pays d'En-haut ont été détruites. Les Basques descendent des hommes que les mammouths avaient éduqués. Vernon peut rester auprès d'eux avec Geneviève, si ça lui chante, mais il y a le centaure qui a fait agir son talent de séduction et qui se morfond pour elle.

Khan-Aren-Khan propose à Vernon la solution la plus sage ; un petit traitement à l'Ohim qui lui ferait oublier tous ses tourments sentimentaux. Mais Vernon refuse pour cette même chimère : l'amour, qui autrefois provoqua la révolte des mammouths maudits dont les ossements gisent dans la grotte de Fauzan. Vernon tente de convaincre Geneviève, mais elle lui fait comprendre qu'elle en pince pour Ibrida. Quand il évoque leur enfance commune, il lui rappelle que lorsqu'ils n'étaient pas sages, son grand-père les menaçait de faire venir le "Mamou", un ogre de la tradition basque qui devait représenter en fait le souvenir diffus des mammouths. Vernon finit par trouver le moyen de se rallier les sentiments de Geneviève en exagérant les traits monstrueux d'Ibrida. Tous ces émois sèment le trouble dans la vie des mammouths. Madame Ayné-Khan, par exemple, commence à ressentir des passions qu'on croyait disparues avec l'Ohim.

Geneviève en a assez de cette vie monotone et accepte de remonter dans le pays d'En-haut avec Vernon. Trouvant que ces humains sont en train de propager des idées assez dérangeantes pour le statu quo de son royaume, le Mammouth Bleu les autorise à remonter à la surface par un chemin menant à la grotte de Fauzan. Il ordonne cependant que deux mois après leur départ, le passage soit à nouveau réouvert une dernière fois, si jamais ils voulaient revenir dans la Grande Euscarie. Mais au dernier moment, Ibrida arrive et ses larmes décident Geneviève de rester auprès de lui. Elle lui déclare son amour et montant sur la croupe du centaure, elle retourne à Pokmé. Vernon rejoint seul la surface. Le journal secret de frère Anselme s'interrompt la veille de la date après laquelle le chemin menant au monde souterrain sera fermé à jamais.

L'épilogue rassemble Jarain, Chesnay, le juge Etchepare et l'abbé Laugé. L'exploration des cavernes autour de Fauzan n'a rien donné qui puisse étayer les faits décrits dans le journal de l'ermite, mais il est certain qu'André Vernon y a été retrouvé inanimé par des mineurs avant qu'il ne rejoigne l'ermitage. En conclusion, ils s'accordent à penser que Vernon est retourné chez le Mammouth Bleu, mais que personne ne saura jamais s'il a choisit l'oubli par l'Ohim ou bien s'il est devenu l'esclave de Geneviève et de son centaure.

Note : L'origine du mot mammouth a longtemps était débattue. On a voulu, la faire remonter à l'ancien tartare "mama" signifiant la terre ; reflet de la croyance jadis attestée en Laponie, en Sibérie et jusqu'en Chine que les reliques congelées de ces animaux étaient celles de gigantesques souries aveugles vivant dans le sous-sol. D'autres ont pensé que le "béhémoth" de la Bible, prononcé "méhémoth" par les Arabes étaient la véritable racine de mammouth ou encore que le mot "mamout" était d’origine ostiaque.

C'est apparemment Isbrand Ides, l'envoyé spécial de Pierre 1er en Chine qui aurait le premier employé ce mot dont l'étymologie, dériverait du finnois : "ma", terre et "mouth", animal. Le mammouth serait donc "l'animal de la terre" ; ce qui refléterait la croyance précitée. Et ne me rétorquez pas que le Finnois est apparenté au Basque par je ne sais quel rameau oublié. Je persiste à classer ce roman dans la catégorie des ouvrages de linguistique-fiction et ne pense pas, dans l'immédiat, monter une expédition vers le royaume du Mammouth Bleu.

© Jean-Louis Brodu 2003

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